Malraux face aux jeunes. Mai 68, avant, après. Entretiens inédits by André Malraux

Malraux face aux jeunes. Mai 68, avant, après. Entretiens inédits by André Malraux

Auteur:André Malraux
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Editions Gallimard
Publié: 2016-09-14T16:00:00+00:00


1. Allusion à Ernest Renan (1823-1892). Dans ses Souvenirs d’enfance et de jeunesse (1883), au chapitre II, « Prière sur l’Acropole », il écrit : « Je suis né, déesse aux yeux bleus, […] chez les Cimmériens bons et vertueux… » Ce morceau d’anthologie connut un tel succès qu’il fut édité à part. Tout lycéen contemporain de Malraux connaissait ce texte.

CONFÉRENCE DE PRESSE

À LA RADIO ALLEMANDE

(avant la rentrée universitaire 1968)1

Monsieur André Malraux, depuis 1959 ministre des Affaires culturelles de la Ve République, est sans conteste l’une des personnalités les plus marquantes de la scène politique européenne. Il est écrivain et ses livres sont presque des classiques. Mais c’est également un homme passionnément engagé politiquement. Révolutionnaire dans ses jeunes années, il est aujourd’hui représentant de l’État. Prêt à toutes les aventures dans les années vingt et trente, et jusqu’à la Résistance, c’est aujourd’hui une sorte de symbole du conservatisme moderne éclairé. Autrefois homme de gauche, pour reprendre une terminologie vieillie, il est plutôt aujourd’hui considéré comme un homme de droite par la nouvelle gauche.

Monsieur le ministre, je crois que c’est l’un de vos plus illustres contemporains, Winston Churchill, qui a dit qu’on ne devient un véritable conservateur que si l’on a été de gauche, ou même communiste, pendant sa jeunesse. Pour devenir ministre d’État au sein d’un gouvernement de Gaulle, l’ancien révolutionnaire que vous êtes a-t-il suivi un parcours logique ou plutôt marqué par des ruptures ?

ANDRÉ MALRAUX — Je crois qu’il y a deux points de vue que Churchill n’envisageait pas. Premièrement, il se plaçait dans la paix. Mon évolution, et celle de beaucoup de Français contemporains, s’est passée dans la guerre. C’est d’ailleurs le plus important de tout. Le second point, c’est que le gouvernement du général de Gaulle a été, du point de vue de l’historien, à certains égards un gouvernement de gauche en ce sens que c’est lui qui a fait la décolonisation, c’est lui qui a fait l’indépendance de l’Algérie et c’est lui qui a fait les nationalisations. Mais le premier point est infiniment plus important que le second ; en fait, pendant la Résistance, nous avons été amenés à la certitude que nous ne pourrions pas faire à la fois l’indépendance nationale et la justice sociale. Si vous préférez : la France et le prolétariat. Nous avons opté, en pensant que nous ferions la justice sociale à travers l’indépendance nationale, mais que nous ne ferions jamais l’indépendance nationale à travers l’autre élément. Premier point qui recouvre toute notre époque. Le XIXe siècle a cru que la révolution serait internationale : nous avons pensé, même avant la Résistance — mais nous en avons pris conscience violemment pendant la Résistance — que le phénomène capital du XXe siècle serait les grandes créations nationales ; pas du tout au sens du nationalisme de jadis, mais dans un sens nouveau. En somme, pour nous, c’est Nietzsche qui a eu raison contre Marx2. Vous savez que Nietzsche avait dit : « Le XXe siècle sera le siècle des grandes guerres nationales » ? Il a été aussi le siècle des grandes créations nationales.



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